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Quels vices de procédure justifient l’annulation d’un jugement?

La Cour suprême de Zurich a annulé le jugement contre l’ex-patron de Raiffeisen, Pierin Vincenz. Des défauts procéduraux sont à l’origine de cette décision inattendue.

Le jugement par lequel l’ancien patron de la banque Raiffeisen, Pierin Vincenz avait été condamné en 2022 (à une peine privative de liberté de 3 ans et 9 mois) par le tribunal de district de Zurich vient d’être annulé en appel, comme l’a annoncé la Cour suprême du canton de Zurich le 20 février 2024. Pourquoi? En raison de graves vices de procédure, selon ce qui a été communiqué par la Cour suprême cantonale précitée.

Ce n’est pas la première fois qu’une condamnation pénale est annulée en raison de vices de procédure. Fin 2023 c’était la condamnation de l’ancien patron de la police guatémaltèque, qui était annulée par le Tribunal fédéral en suite de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme retenant l’existence d’une apparence de partialité. De même, en 2023 toujours, le Tribunal pénal fédéral cette fois annulait le jugement d’un ancien gestionnaire de hedge fund qui n’avait pas été correctement convoqué à son audience. Autre exemple tiré de la jurisprudence cantonale: en 2016 la Cour de justice genevoise a annulé un jugement au motif que l’avocate qui s’était constituée pour le compte du prévenu n’avait pas été avisée de l’audience, les débats ayant été tenus en son absence.

Longueur de l’acte d’accusation

Dans le cas de Pierin Vincenz la Cour suprême zurichoise critique sévèrement l’acte d’accusation, de plus de 300 pages. Elle lui reproche de dépasser largement le cadre prescrit par la loi par son degré de détail, de contenir des éléments non pertinents, et, en définitive, de ne pas être conforme au Code de procédure pénale.

Là encore, il existe des précédents.

C’est ainsi que la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral avait renvoyé un acte d’accusation (de plus de 200 pages celui-ci) au Ministère public de la Confédération au motif de son manque de précision, décision contredite par la Cour des plaintes de ce même Tribunal qui a finalement refusé de renvoyer cet acte à son expéditeur pour ne pas rallonger inutilement la procédure.

Traduction

Autre motif d’annulation du jugement condamnant notamment l’ancien patron de la banque Raiffeisen: un coaccusé francophone n’avait pas reçu de traduction de l’acte d’accusation avant l’audience, malgré ses demandes dans ce sens. Le fait que celui-ci ait été représenté par deux avocats germanophones lors de l’audience ne joue aucun rôle, comme l’a relevé la Cour suprême cantonale. L’accusé doit pouvoir connaître en détail le contenu de l’accusation et pouvoir l’étudier en profondeur. L’absence de traduction de l’acte d’accusation constitue donc une violation importante du droit d’être entendu de ce prévenu. Ce vice de procédure ne peut pas être corrigé en deuxième instance car le prévenu a le droit de bénéficier de deux instances.

Le procès zurichois va donc reprendre depuis le début, sauf si le recours annoncé par le Ministère public auprès du Tribunal fédéral est admis.

Recours

On attend donc avec impatience la suite de cette saga, et en particulier la décision du Tribunal fédéral sur le recours annoncé par le Ministère public zurichois.

Sur le plan juridique, la Cour suprême zurichoise a ainsi manifestement fait usage de l’art. 409 du Code de procédure pénale selon lequel «si la procédure de première instance présente des vices importants auxquels il est impossible de remédier en procédure d’appel, la juridiction d’appel annule le jugement attaqué et renvoie la cause au tribunal de première instance pour qu’il soit procédé à de nouveaux débats et pour qu’un nouveau jugement soit rendu».

Malgré les quelques exemples ci-dessus, le principe est que l’annulation du jugement de première instance par la Cour d’appel doit rester l’exception. Une telle annulation peut toutefois intervenir en présence de certaines violations procédurales, telles que l’incompétence du tribunal de première instance à raison du lieu ou de la matière, la violation des droits de la défense, ou encore la violation du droit d’être entendu.

Rappelons que le droit d’être entendu comprend notamment le droit de s’exprimer avant que la décision concernant l’intéressé ne soit rendue, le droit d’obtenir des traductions de son dossier et celui d’être assisté d’un interprète. Il comprend également notamment le droit de proposer des moyens de preuves pertinents et de se déterminer sur leur résultat, ainsi que le droit d’être assisté d’un avocat.

Lorsque les parties n’ont pas pu bénéficier d’un procès équitable, l’annulation du jugement de première instance et le renvoi de la cause au premier tribunal – plutôt que la correction du jugement par la Cour d’appel – se justifient par le fait que les parties ont le droit de bénéficier de deux instances (avant la voie de recours au Tribunal fédéral).

Ainsi, sur le principe et de manière générale, l’annulation d’un jugement pour ce motif ne devrait pas être vue comme un échec de la justice, mais bien plutôt comme la preuve du bon fonctionnement de celle-ci. Car le respect strict du Code de procédure pénale, et des droits que celui-ci confère aux parties, est le gage d’une justice saine et impartiale.

Cet article a précédemment été publié sur le blog de Miriam Mazou hébergé le site de bilan.ch

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