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Le Liban, la nouvelle prison de Carlos Ghosn?

Carlos Ghosn (crédit : wikimedia)

Lors de la conférence de presse qu’il a donné le 8 janvier Carlos Ghosn s’est dit prêt à rester longtemps au Liban. Heureusement pour lui, car il risque de n’avoir guère d’autre choix. D’ailleurs, le 9 janvier, les autorités libanaises lui ont interdit de quitter le territoire libanais.

Notice rouge non contraignante

Depuis la fuite de l’homme d’affaires franco-libano-brésilien en fin d’année dernière, le Japon a obtenu l’émission d’un avis de recherche international par l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol). Cette « notice rouge » a pour but de localiser et arrêter l’ex-patron de Nissan, en vue de son extradition. Il ne s’agit toutefois pas d’un véritable mandat d’arrêt puisque Interpol ne peut pas contraindre un pays à arrêter une personne faisant l’objet d’une telle notice. Au contraire, chaque pays membre est libre de décider de la valeur juridique à accorder à une notice rouge. Il n’en demeure pas moins que cette situation rend hasardeux tout voyage à l’étranger.

On le sait, l’ancien patron de Nissan ne risque pas d’être extradé du Liban, pays dont il détient la nationalité et qui n’extrade pas ses ressortissants. Par contre, hors des frontières de ce pays, le danger d’arrestation ne saurait être exclu. Et il existe même à bien des frontières, l’Organisation internationale de police criminelle Interpol comptant 194 pays. Aussi, Carlos Ghosn respectera sans nul doute l’interdiction qui lui a été signifiée le 9 janvier par les autorités libanaises.

Mandat d’arrêt européen

Le système de la « notice rouge » se distingue des obligations qui découleraient par exemple d’un mandat d’arrêt européen. Celui-ci est en effet contraignant. De plus, dans l’hypothèse d’un mandat d’arrêt européen, les États membres de l’UE ne peuvent en principe pas refuser de remettre leurs propres ressortissants. Enfin, selon le mécanisme du mandat d’arrêt européen, la demande émanant de l’autorité judiciaire d’un État membre de l’UE en vue de l’arrestation d’une personne dans un autre État membre et de sa remise pour l’exercice de poursuites pénales à son encontre impose aux autorités judiciaires sollicitées de statuer abstraction faite de toute considération politique.

Interdiction de quitter le Liban

Le 9 janvier 2020 la justice libanaise a interdit à l’homme d’affaires de quitter le Liban. Elle a demandé aux autorités japonaises de lui transmettre le dossier concernant son ressortissant afin de déterminer si des poursuites pénales doivent être engagées contre lui au Liban en application du droit libanais. Notons que si Carlos Ghosn devait être jugé au Liban pour les faits objet de l’enquête pénale japonaise, qu’il soit acquitté ou condamné, il n’est pas certain qu’il puisse opposer ce jugement aux autorités du pays du soleil levant. En effet, l’application du principe selon lequel nul ne peut être jugé deux fois à raison des même faits (ne bis in idem) dépend de la teneur du droit interne national et des conventions internationales trouvant application. Ce principe est par exemple garanti par les accords de Schengen (art. 54 CAAS), auxquels ne sont partie ni le Liban ni le Japon.

Le Japon acceptera-t-il de transmettre le dossier de Carlos Ghosn au Liban ? Dans l’affirmative, il prend le risque que le Liban fasse une autre appréciation des faits objets de la procédure. Dans la négative, il prend le risque d’une certaine perte de crédibilité liée à un tel refus.

Extradition selon mandat d’arrêt européen (MAE)

Au moment de décider de fuir, l’homme d’affaires aurait également pu songer à se rendre en France, dont il possède aussi la nationalité, et qui n’extrade pas non plus, en principe, ses ressortissants. Le fait que deux enquêtes pénales soient pendantes à son encontre en France, notamment pour d’abus de biens sociaux et corruption l’en a peut-être découragé.

Surtout, la France faisant partie de l’Union européenne, elle est soumise au système du mandat d’arrêt européen (MAE) décrit ci-dessus. Certes, un tel mandat ne peut pas être décerné par le Japon. Mais, si Carlos Ghosn s’était réfugié en France, et qu’il devait par hypothèse être l’objet d’une autre enquête pénale ouverte dans un autre pays de l’Union européenne, la France, compte tenu du mécanisme du mandat d’arrêt européen (MAE), aurait pu être contrainte de le remettre à cet autre Etat européen. Et cela malgré sa nationalité française. Selon les circonstances, cet autre Etat européen aurait alors pu quant à lui être amené à son tour à remettre l’intéressé au Japon.

Extradition hors convention internationale

Il n’est en effet pas nécessaire qu’il existe une convention d’extradition entre le pays dans lequel se trouve une personne recherchée et celui qui en demande l’extradition pour qu’une telle extradition puisse intervenir. En Suisse par exemple, les conditions auxquelles nos autorités accordent l’extradition à la demande de pays tiers, hors toute convention internationale, sont régies par la loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale (EIMP).

Si Carlos Ghosn était appréhendé en Suisse

Ainsi si l’ancien patron de Nissan était arrêté en Suisse, par exemple s’il devait y faire escale pour se rendre en France, il pourrait en théorie être extradé vers le Japon. Et cela en dépit de l’absence de convention d’extradition entre la Suisse et le Japon.

Avant d’ordonner une telle extradition, les autorités helvétiques devraient toutefois s’assurer que le Japon respecte, en termes des droits de la défense, les standards prescrits par le Convention européenne des droits de l’homme. En effet, selon la loi suisse, une demande de coopération en matière pénale est irrecevable si la procédure étrangère n’est pas conforme aux principes de procédure fixés par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) (art. 2 let. a EIMP). La Suisse devrait donc vérifier les critiques émises par Carlos Ghosn à l’égard du système judiciaire japonais, s’agissant notamment de la présomption d’innocence et des facilités nécessaires à la préparation de la défense d’un accusé (art. 6 CEDH), et pourrait, selon son appréciation, refuser d’ordonner son extradition.

(cet article a précédemment été publié sur la plateformes des blog du Temps)

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4 Responses
  1. Gwaskell

    La fuite de Carlos Bond au Liban est à première vue un coup de maître. Maintenant que le Liban a réclamé la transmission du dossier, la justice et le gouvernement japonais auront du mal passer outre un devoir de justification: pourquoi des méthodes coercitives si fortes alors qu’en principe toutes les preuves se trouvent dans la comptabilité? Pourquoi un délai si long avant un premier procès si les fautes sont évidentes?
    Donc, on peut dire Merci à Carlos car l’internationalisation de son dossier permet de soulever des questions qui sont appelées à faire avancer la justice.

  2. Impunité = terreur

    Et Laurent Ségalat ? Pourquoi la France refuse le remettre à la Suisse ? Ne faisons-nous pas partie de l’espace Schengen??

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