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Le Tribunal fédéral confirme la condamnation de l’humoriste Dieudonné pour discrimination raciale et réaffirme les limites de liberté d’expression

Introduction

Par arrêt du 16 mars 2023 destiné à publication (6B_777/2022 du 16 mars 2023) le Tribunal fédéral a confirmé la condamnation de l’humoriste Dieudonné pour discrimination raciale (art. 261bis al. 4 in fine CP), diffamation (art. 173 ch. 1 CP) et injure (art. 177 al. 1 CP).

Faits

Les faits ayant amenés à la condamnation de Dieudonné sont les suivants.

Lors d’un spectacle joué à Nyon et à Genève, intitulé « En vérité », Dieudonné – alors qu’il jouait un personnage qui venait d’échapper à la mort – avait notamment scandé : « J’aurais dû être terroriste, au moins tu crèves pour quelque chose, ils vont au bout de quelque chose. J’emmerde tout le monde, les chambres à gaz n’ont jamais existé ». Pour ces faits, Dieudonné avait été condamné, en première puis en deuxième instance, pour discrimination raciale (art. 261bis al. 4 in fine CP).

Lors d’une représentation de ce même spectacle, Dieudonné avait déclaré, ce qui suit s’agissant de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD) : « les associations juives …, ah bon, ils ne m’aiment pas ces gens-là, encore aujourd’hui ? Ah j’ai un procès demain ? La CICAD me fait un procès ? Il faut leur dire d’aller se faire enculer à la CICAD ». Pour ces faits, Dieudonné avait été reconnu coupable d’injure.

Enfin, au mois de novembre 2019, Dieudonné avait encore réagi à des propos du secrétaire général de la CICAD précitée le concernant, en indiquant notamment qu’il portait l’héritage de ces négriers juifs qui pendant des siècles avaient déportés des hommes comme lui, et qu’il s’agissait d’un menteur et d’un raciste. Les deux instances précédentes avaient reconnu Dieudonné coupable de diffamation pour ces faits.

Discrimination raciale (art. 261bis al. 4 in fine CP)

S’agissant en premier lieu de l’infraction de discrimination raciale, le Tribunal fédéral a considéré qu’il était évident que la phrase « les chambres à gaz n’ont pas existé » faisait référence à l’Holocauste, à savoir l’extermination massive et systématique des personnes de confession juive menée par le régime nazi pendant la Seconde Guerre Mondiale. Selon notre Haute cour, une telle assertion revenait objectivement à nier la Shoah.

Dans tous les cas, il était en l’espèce exclu que le caractère négationniste ou révisionniste de ces propos ait « échappé » à l’humoriste, ce dernier s’étant au demeurant prévalu d’avoir fait dire à son personnage une phrase « interdite », afin de placer ce dernier face à une mort sociale, ce alors qu’il venait d’échapper à un crash d’avion – et donc à la mort physique.

Au demeurant, le Tribunal fédéral a considéré que Dieudonné avait bel et bien agi en poursuivant un mobile discriminatoire. En effet, il ne pouvait pas se cacher derrière le caractère fictionnel de son sketch et de son personnage, ni derrière l’absurdité du propos en tant que tel.

Pour le surplus, le Tribunal fédéral a considéré qu’il était douteux que Dieudonné soit fondé à invoquer sa liberté d’expression garantie par l’article 10 CEDH, dès lors que le propos litigieux paraissait constituer en tant que tel l’expression d’une idéologie contrevenant aux droits et aux libertés consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme.

Pour autant que la liberté d’expression puisse trouver application, une restriction se justifiait en l’espèce, dès lors qu’il apparaît exclu, selon le Tribunal fédéral, « d’accorder systématiquement un blanc-seing à tout artiste tenant des propos négationnistes ou révisionnistes, sous prétexte qu’il agirait dans le cadre de l’expression de son art ou par le biais d’un personnage de fiction ». En l’occurrence, il ne peut être considéré que Dieudonné entendait parodier un négationniste, à des fins humoristiques. Au contraire, notre Haute cour considère que la phrase litigieuse avait pour but de minimiser la souffrance du peuple juif peuple et d’affirmer la position de Dieudonné à cet égard.

En raison de son mobile discriminatoire, Dieudonné ne saurait se prévaloir de la liberté d’expression au sens de l’art. 10 CEDH pour se disculper, pas plus que de la liberté d’opinion et d’information consacrée par la Constitution fédérale, ou de la liberté de l’art.

Injure (art. 177 ch. 1 CP)

S’agissant de ces propos à l’égard de la CICAD (« Il faut leur dire d’aller se faire enculer à la CICAD »), Dieudonné invoquait une violation du principe de la présomption d’innocence, grief que le Tribunal fédéral a toutefois écarté considérant que la Cour cantonale n’avait pas fait preuve d’arbitraire dans l’établissement des faits et n’avait pas violé le droit fédéral en estimant que ces propos étaient constitutifs d’injure.  

Diffamation (art. 173 ch. 1 CP)

S’agissant enfin de l’infraction de diffamation, le Tribunal fédéral a également confirmé la condamnation de Dieudonné.

Notre Haute cour a notamment relevé qu’il ne contestait pas avoir qualifié le secrétaire général de la CICAD de raciste et de l’avoir comparé à un négrier juif, allégation étant incontestablement de nature à le faire apparaitre comme une personne méprisable et tombant ainsi sous le coup de l’article 173 ch. 1 CP.

En outre, même à admettre que Dieudonné venait d’apprendre les déclarations de l’intimé à son égard et qu’elles avaient provoqué son courroux, cela ne lui permettait pas pour autant de justifier sa bonne foi quant au reproche de racisme formulé à l’égard du secrétaire général de la CICAD.

Les propos du secrétaire général de la CICAD, accusant Dieudonné de faire la probation du terrorisme lors de ses spectacles et d’alimenter le réseau conspirationniste, ne suffisaient en outre pas à faire naître des soupçons de racisme, mais il apparaît que ses propos reposaient au contraire sur le contenu de ses spectacles et non sur la couleur de peau, l’origine ethnique de Dieudonné.

Conclusion

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral réaffirme – de manière bienvenue à notre sens – le principe selon lequel il n’est pas possible de se « cacher » derrière la liberté d’expression, respectivement la liberté de l’art pour proférer des déclarations discriminatoires. En outre, le fait de jouer un personnage de fiction ne saurait non plus automatiquement disculper son interprète des propos proférés.

En l’espèce, le mobile discriminatoire poursuivi par Dieudonné, et non le caractère artistique ou humoristique du sketch litigieux, a été déterminant dans sa condamnation.

Marie Besse, av.-stag.

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