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Les délits sont en hausse, mais les condamnations restent rares

Selon le « Forensic Fraud Barometer » de KPMG, la Suisse a connu une augmentation des délits économiques en 2022. Le Léman a subi le préjudice financier le plus élevé. D’une manière générale, la complexité des affaires de blanchiment entraîne des retards non négligeables pour la justice.

KPMG a publié le 11 juillet 2023 le résultat de son «Forensic Fraud Barometer». La société d’audit et de conseil explique avoir basé son analyse sur plus de 400 articles de presse suisse parus en 2022 et avoir retenu les articles des journaux concernant des condamnations pour des délits économiques d’un montant supérieur à 50’000 francs jugés par des tribunaux suisses.

C’est dire – précisons-le d’emblée – que le résultat de cette étude n’est pas le reflet de la réalité judiciaire, mais uniquement celui des cas rendus publics. Or il y en a beaucoup qui ne sont pas rapportés par les journaux. Ce compte rendu doit donc être pris avec précaution. Il donne néanmoins une tendance.

Région lémanique en tête

Il en ressort une augmentation de 15% des affaires de criminalité économique portées devant la justice en 2022, par rapport à 2021. Le montant total du préjudice s’élève selon KPMG à CHF 581 millions. Les affaires présentant le montant du préjudice le plus élevé sont survenues dans la région lémanique, avec cette année un préjudice cumulé de plus de CHF 415 millions, contre CHF 50 millions «seulement» à Zurich.

À noter que cette situation semble exceptionnelle puisque l’an dernier, Zurich présentait un préjudice cumulé de plus de CHF 37 millions contre CHF 10 millions en région lémanique. Les résultats des années précédentes ne figurant plus sur le site internet de KPMG, il n’est pas possible de s’en assurer.

KPMG souligne elle-même que les chiffres sont probablement nettement supérieurs, dans la mesure où de nombreux cas ne sont pas dénoncés pénalement. Et il y a encore tous les cas dénoncés mais qui n’ont pas fait l’objet d’un procès. Soit parce que les actes dénoncés ne revêtent aucune qualification pénale. Soit en raison des difficultés à récolter des preuves.

Affaires de blanchiment d’argent souvent classées par le MPC

Le cas du blanchiment d’argent est significatif. KPMG n’a détecté que 4 condamnations (répondant à ses critères, voir ci-dessus) en 2022 contre une seule en 2021. Ces faibles chiffres interpellent. On peut y voir une indication sur la difficulté pour la justice de réprimer cette infraction.

Il est intéressant de mettre en parallèle ces chiffres avec le rapport d’inspection du 20 juin 2023 de l’Autorité de surveillance de Ministère public de la Confédération sur les ordonnances de non-entrée en matière et de classement.

Rappelons que le Ministère public de la Confédération (MPC) est chargé d’enquêter sur les délits relevant de la juridiction fédérale. Il est notamment chargé de la conduite de procédures complexes en matière de criminalité économique internationale ou intercantonale.

Nombres élevés de non-entrées et de classement

L’Autorité de surveillance du Ministère public de la Confédération (AS-MPC) a recensé près de 6400 classements et non-entrées en matière rendus – toutes infractions confondues – par le MPC entre 2016 et 2020.

Dans la division criminalité économique, près de 90% des procédures ont été classées ou ont fait l’objet d’une non-entrée en matière. En matière de blanchiment d’argent (256 cas pour la période sous revue), 67% des procédures ont été classées et 22% ont fait l’objet d’une non-entrée en matière. Seules 6% des affaires de blanchiment ont fait l’objet d’une ordonnance pénale, et 5% ont été l’objet d’un acte d’accusation.

Le cas particulier Petrobras

Le rapport de l’AS-MPC rapporte la prise de position du MPC s’agissant de ces taux de classement et de non-entrée en matière élevés. Celui-ci expose que le taux élevé de classements est dû aux nombreux classements intervenus dans toutes les affaires liées à Petrobras.

La stratégie du MPC a en effet consisté à ouvrir un grand nombre de procédures afin de pouvoir saisir les fonds afin de prévenir leur disparition. Ces procédures ont ensuite été abandonnées parce que les fonds saisis ont été confisqués dans le cadre de l’entraide judiciaire.

S’agissant plus spécifiquement de l’infraction de blanchiment d’argent, le MPC explique que de nombreuses procédures pénales ouvertes les années précédentes à la suite de communications du MROS ont été classées durant la période examinée.

Autre élément intéressant, les procédures en matière de blanchiment d’argent ont duré en moyenne 1460 jours, 1740 s’agissant de celles qui ont été classées, 466 pour celles pour lesquelles il n’a pas été entré en matière, 1271 jours pour les ordonnances pénales et 1466 jours pour les procédures qui ont fait l’objet d’un acte d’accusation.

Le MPC explique cette situation par le caractère possiblement étranger du crime en amont et des actes de blanchiment. À cet égard, la récolte de preuves hors de nos frontières et la complexité des flux financiers transfrontaliers sont autant d’éléments qui ralentissent le traitement des cas. Reste que cela paraît bien long, surtout s’agissant des non entrées en matière.

Quoi qu’il en soit, le rapport de l’AS-MPC démontre que la justice peine à traiter les affaires de criminalité économique complexes, en particulier celles de blanchiment. Sans doute gagnerait-elle à obtenir plus de moyens.

Cet article a précédemment été publié sur le blog de Miriam Mazou hébergé le site de bilan.ch

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