Le Tribunal fédéral confirme que la qualification d’escroquerie s’applique à l’obtention de crédits Covid par la transmission de fausses informations.
De nombreuses entreprises suisses ont eu recours aux crédits Covid. Au total, 137 870 ont été accordés pour un montant total de près de CHF 17 milliards! Ces crédits cautionnés par la Confédération proposés par les banques dès mars 2020 pour pallier le manque de liquidités causé par les conséquences de la pandémie de Covid-19 ont permis à plusieurs indépendants et PME de sortir la tête de l’eau.
Afin de s’assurer de l’efficacité de cette solution, les autorités suisses ont mis en place une procédure facilitée. Souvenez-vous: il suffisait d’une autodéclaration du requérant, qui pouvait ainsi avoir très rapidement accès aux fonds prêtés. Dans ces conditions, les abus étaient à prévoir. Les autorités avaient d’ailleurs anticipé en annonçant la couleur: les fraudeurs seraient poursuivis et punis.
C’est ainsi que de nombreuses procédures pénales ont été conduites à cet égard dans les cantons. Le Tribunal fédéral s’est quant à lui récemment prononcé sur la qualification pénale de l’obtention frauduleuse de crédits Covid. Dans son arrêt 6B_271/2022 du 11 mars 2024 notre Haute Cour confirme que l’infraction d’escroquerie au sens de l’art. 146 du Code pénal peut s’appliquer à ces cas de figure.
Cela n’allait pas de soi. En effet, l’infraction d’escroquerie permet de punir quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou la conforte astucieusement dans son erreur et détermine de la sorte la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers. La sanction maximale est une peine privative de liberté de cinq ans (10 ans si l’auteur en fait métier). Pour que cette infraction soit réalisée, il faut donc notamment une tromperie astucieuse et un dommage.
Or, en ce qui concerne l’astuce, le Tribunal fédéral avait antérieurement jugé qu’il n’y avait pas tromperie astucieuse lorsqu’une banque accorde des crédits uniquement sur la base des informations fournies par le requérant, sans exiger des pièces justificatives ou effectuer des contrôles. Le Tribunal fédéral estimait en effet que les banques étaient soumises à un devoir de vigilance accrue (TF 6B_244/2023 du 25 août 2023, c. 4.1 et références citées).
Mais la situation est différente s’agissant des crédits Covid-19. En effet, le mécanisme mis en place ne permettait, ni n’exigeait, une vérification par la banque des informations fournies par les personnes sollicitant ces crédits. Par conséquent, et dans ces cas précis, le simple fait de fournir de fausses informations constitue une tromperie astucieuse.
Enfin, il ne suffit pas de rembourser pour échapper à toute sanction: le Tribunal fédéral rappelle qu’un dommage temporaire est suffisant, et que la capacité de remboursement n’implique pas nécessairement la volonté de rembourser. Ainsi, le remboursement ultérieur du prêt Covid conforme au contrat ne suffit pas à éliminer le dommage lors de la conclusion de celui-ci. Et cela quand bien même la société disposerait au moment de l’octroi d’un montant suffisant sur son compte pour rembourser.
Cet arrêt du Tribunal fédéral, à mon sens sévère mais juste, a le mérite de poser le cadre pour les décisions cantonales à venir.
Cet article a précédemment été publié sur le blog de Miriam Mazou hébergé le site de bilan.ch